Récit d’un trek au Zanskar partie 2 (première partie ici)

Dans la cathédrale aux parois glacées, sur l’autel de nos rêves ou crépitait un feu puissant, j’essayais de chanter aux étoiles quelques valses polonaises aux notes imbibées de rhum. Fredonnant la route future, sur l’impétueux Chadar, avec mes compagnons indiens, compagnons improbables de la traversée du Zanskar. Moi, le seul touriste blanc débarqué là par les circonstances.

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Notre vie est une scène de théâtre. Nous jouons tous un rôle selon les circonstances. Dans un groupe, chacun porte son costume. J’avais la mien, taillé sur mesure. Mon rôle était celui du touriste blanc réservé, fuyant. Présent physiquement tel un figurant mais toujours muet, enfoui dans ses pensées. Je l’avais religieusement endossé dans le bus tanguant menant au camp.

Dansent et rient, aux milieu des flammes sauvages, deux vieux trekkeurs retraités aux visages paisibles et ridés, un cuisinier d’un grand hôtel, grand et fin tel une asperge, un informaticien extraverti au sourire trop blanc pour être honnête, une apprentie journaliste et des ingénieurs amoureux de Bollywood. Dans notre joyeuse troupe indienne se trouve également nos guides et nos porteurs ladhakis. Je l’avoue honteusement, je ne suis pas un gai compagnons de flambées. Les flammes ont leur propre histoires et j’aime m’y plonger. En silence. Mais voilà, avant le départ donné au petit matin, il faut faire bonne figure, éloigné le mauvais esprit et partager sa culture à coup de fausses notes, surtout les miennes, diluées au mauvais rhum. Si j’avais su, j’aurai pris quelques bonnes bouteilles de vodkas, histoire de passer le goût et assommer à coup de degrés mes convives.

Le réveil est douloureux et ce n’est pas le rhum qui est en faute. J’ai l’impression d’avoir le visage collé à la paroi givrée d’un frigidaire. Un thé chaud m’attend à la porte de la tente. On ressuscite, tel le phénix, aux premières gorgées. Les préparatifs sont lents. Trop lents. 2h après le réveil, nous ne sommes toujours pas partis. Je trépigne sur place.

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Je ferai un mauvais moine. Je suis trop impatient. Je ne sais pas apprécier l’instant, il me faut toujours avancer. Avancer et vite. Je ne souhaitais pas de porteur pour m’aider. Je suerai donc sur le Chadar. Ce fleuve gelé, le prendre un peu comme un défi sportif. Le mériter, le subir. Et puis j’aime aller à mon rythme. Avaler les paysages, faisant fi du danger qui pèse à chaque pas en marchant sur la glace parfois tenue au dessus du fleuve bouillonnant. Stupide insouciance. Même si j’aurai pu m’adapter, avec quelques efforts, à leur rythme mesuré, mes compagnons indiens étaient également trop bavards, trop bruyants à mon goût. Or je vis les longues marches comme une méditation. De là peut-être ma volonté de faire souffrir ce corps pendant qu’il le peut encore. Alors que hurlent mes musclent endoloris, mon esprit s’évade et s’élève.

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Égoïstement peut-être, je souhaitais avoir le Chadar pour moi tout seul. Amant possessif à la barbe clairsemée. Ne pas partager cette communion avec les éléments, cette délicieuse sensation de vivre une aventure au bout du monde, d’avoir la possibilité, durant quelques brefs mais splendides instants, de devenir enfin l’explorateur de mon destin. Et ce froid mordant et les gifles glacées me faisaient sentir léger, si léger. Je cavalais sur la glace tel un jeune mustang lâché sur les plaines. On m’avait bien évidemment assigné un guide qui me suivait au loin, essayant de tempérer comme il le pouvait les ardeurs de ce touriste inconscient. Il avait cette patience désarmante de m’écouter, alors que , tel un drogué, je le suppliais de continuer à avancer à marche forcée. Je marchais chaque jour comme possédé par la Chadar. En plus de mon sac, je décidais également de tirer un traîneau que j’alourdissais quotidiennement. Toujours dans la volonté de vivre cette aventure comme je pensais qu’elle devait l’être. Il en résulta très peu d’images. Enfin, beaucoup moins que ce qui est censé être l’aventure d’une vie. Mon appareil sommeillait dans mon sac. Ma préoccupation principale était de voir où chaque pas me mènerait. Les jours fuyaient, plus froids les uns que les autres. Rares étaient les rencontres en chemin. Les camps du soir, éphémères chaleurs entre les serres de l’hiver.

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