Tanzanie, récit ascension Kilimandjaro – 23h15. En moi sonne une cloche intérieure, le coeur s’emballe, il est temps. Pour tout repas, un dernier thé chaud et quelques biscuits grignotés à la va-vite. Chacun enfile son costume pour le bal glacé. Cérémonie silencieuse, presque solennelle, sous le regarde des étoiles, impassibles spectatrices. Chaque geste s’imprime dans ma mémoire, instant de gravité. Les lampes torches virevoltent dans un ballet chaotique. Ci et là, des tentes s’éveillent. Chaussettes doubles, moufles et gants, bâtons de marche, chacun coche mentalement sa liste de course pour le sommet. On croise des regards tendus, des yeux hagards, des visages impatients. On s’étire, on respire, on attend. Quelques mots d’encouragements s’échangent contre quelques hochements de tête. Le guide nous appelle. Le départ est donné, sous le rythme si familier du polé polé.

 

Objectif : le sommet du Kilimandjaro au lever du soleil.

Le sommet du Kilimandjaro au lever du soleil. Voilà l’objectif. Mon objectif. Les filles derrière et moi devant. Rythme d’escargot insuffisant auquel j’obtempère, pour le moment. Cependant, je le sais, je le sens, suivre leur choix signifie mon échec. Il faut couper le cordon. Dans le noir je m’échappe de quelques pas, de quelques mètres, je rêve d’émancipation. Je joue le gamin turbulent. Je profite de mes échappées pour scruter d’en haut la file irréelle des lampes qui s’étirent entre les rochers. Serpent d’espoirs. Certains iront au bout, d’autres non, certains s’en iront tout court. Les hauteurs m’appellent. Les 4780m du camp de base me semblent insignifiants. Je suis prêt à monter au galop. 1000 m c’est rien me dis-je. A peine trois tours de stade. Avec le recul, je me collerai deux gifles pour ces considérations d’amateur.

 

30 minutes passent. A ce rythme, nous n’y arriverons jamais. Le plan a toujours été de diviser le groupe entre les trois femmes et moi-même. Nous partageons le même but mais avons un rythme de marche inconciliable. Un regard s’échange avec Patrick, l’assistant guide. On se comprend. Je souhaite bonne chance aux trois femmes.

 

Alexandra m’apostrophe soudainement, visiblement irritée. “Je ne suis pas d’accord. On reste tous ensemble. En partant avec Patrick, tu nous fais courir un risque insensé. Tu es stupide de vouloir aller plus vite. Pourquoi aller plus vite ? Si tu attends, tu vas geler là haut ! Tu nous mets en grand danger. Aller plus vite est idiot. Tu es un putain d’idiot.” Je lui fait remarquer qu’elles sont trois et qu’elles ont avec eux un guide et un porteur assistant. Elle ne sait pas que ce dernier porte des bouteilles d’oxygène au cas où. Elle m’exaspère.

 

Pas de temps à perdre en longs palabres. Pas maintenant “Si tu as peur, si tu ne te sens pas d’envergure Alexandra, personne ne te force à monter au sommet, repars donc au camp. Toute ascension comporte des risques. En venant ici, tu le savais. La règle n’est pas d’avoir un guide par personne. Vous êtes trois et vous avez deux hommes expérimentés avec vous. Tout ira bien. Si cela était permis, je serai parti seul. Ce n’est pas le cas. Si tu ne te sens pas d’envergure, redescends. Point. Bonne chance.” L’allemand nous double tous, je le pointe du doigt. “Lui aussi est-il un idiot en voulant marcher plus vite afin d’atteindre le sommet au lever du soleil ?” Fin de la conversation. Sale atmosphère. Sur cette question laissée en suspend, je pars au trot avec Patrick et me joins au groupe de l’allemand., Hans je crois. Nous sommes cinq à grimper dans la nuit. Hans, son guide et un porteur, Patrick et moi-même. Le rythme est soutenu. Cela me va. Mais toujours ces maudits ballonnements. Je me place en queue de peloton.

 

Douleur au ventre. Comme un poing qui vous plie en deux. Le vent s’est levé. Il siffle dans mes oreilles, brûle mon front, cingle mes joues. Il neige à gros flocons. Les points de lumières des groupes ayant commencé plus tardivement sont bien loin. Si loin. Nous sommes seuls maintenant. Ici, tout est blanc.

5200m. Mon estomac me lance. La douleur me force à faire des pauses fréquentes. Le groupe de l’allemand s’échappe.

Il est 2h quand je suis plié en deux, vomissant, agenouillé dans la neige avec les fesses à l’air. Je ne fais pas le fier. Difficile de manipuler le papier les doigts gelés. Je me sens affaibli. Comme un vide. Plus d’énergie. Je me force à boire de l’eau glacée. C’est la seule chose que mon estomac accepte. Pendant 15 minutes, tout ira mieux. Je respire enfin. Les ballonnements reviennent. J’ai en bouche ce goût acide désagréable. Je pense alors à une indigestion. Point de retour envisagé, on avance. Je n’abandonnerai pas sur la première marche de mon rêve car mon ventre s’obstine à faire des siennes.

 

La montagne me murmure dans ce silence feutré. Elle me conte la douleur de la perte de sa candeur. Elle pleure sa virginité…

 

3h et quelques. Il ne neige pas ou très peu sur le Kilimandjaro parait-il. Pourtant, ici, tout est blanc. Pas de route, pas de direction, pas d’indications, tout est recouvert. Patrick ne veut pas suivre la voie prise par Hans. Ce n’est pas la bonne, ils font fausse route m’annonce t-il. On tâtonne dans la nuit. Quelques dizaines de mètres ici, quelques pas par là… Je monte, je glisse sur des plaques de glace et. pour la troisième fois, je me retrouve douloureusement le genou à terre. C’est instable. Le chemin est trop pentu et je n’ai pas de chaussures à piques. Ce n’est pas fait pour. L’exaspération monte. Je demande à Patrick si son travail c’est bien guide car le minimum, c’est de connaître le chemin. Il s’excuse.

 

Je regrette déjà ces paroles. Je sais qu’il fait au mieux. Mais voilà, je suis vidé de mes repas, je ne peux rien avaler de consistant à part des gorgées d’eau. Je ne peux ni ne veux gaspiller mon énergie en vain. Ici, la neige semble traître. Non, la direction prise par Patrick n’est pas la bonne. Ce n’est pas un bâton de marche qu’il faudrait, c’est un piolet. – Vérifies et viens me chercher si tu trouves la voie. Il acquiesce.

Voilà, ça y est, seul dans la neige. Seul dans la nuit. Seul avec la montagne. C’est terrifiant et exaltant à la fois. Étranges instants d’intimité. Première et unique fois. Je lève ma tête et aperçoit la lumière de Patrick disparaître définitivement derrière un monticule rocheux. Je n’entends que mon souffle. Il est court. Je plante fermement mes bâtons et j’appuie pour ne pas glisser.

 

Il neige à gros flocons. Le temps file. 2 min, 15 min, une demie-heure. Je ne saurai le dire. Difficile de jauger dans le silence et le noir. Une éternité me semble t-il. Je sombre dans de brefs sommeils et je me réveille en sursaut, grelottant. Ce froid mordant est comme une douce berceuse. On pourrait se laisser aller dans cet ailleurs dont certains ne reviennent jamais. Je me sens faible. Si faible. En moi bouillonne pourtant une colère. Une colère de se voir si misérable, accroupi dans la douleur. Une lassitude s’installe. Patrick n’est toujours pas là.

Les certitudes ont fait place aux doutes, la lumière des lampes torches s’est tue face à l’obscurité, les pas assurés se sont mus en pauses prolongées. Il y a un monde qui m’était inconnu au delà des 5000m. Ce monde a ses propres règles, son propre temps, son propre langage. Tout y semble plus lent, moins certain.

 

La montagne me murmure dans ce silence feutré. Elle me conte la douleur de la perte de sa candeur. Elle pleure sa virginité continuellement souillée de déchets qui s’amoncellent sur ses flancs. Elle partage sa tristesse face de voir sa peau nacrée disparaître face à ces rayons mordants que les hommes ont libéré. Sa chevelure, verte et soignée à sa base, perd elle aussi de son généreux volume. Ainsi en va t-il des hommes, ils prennent tout pour leur plaisir me dit-elle. La montagne est une femme que l’on prostitue, on cherche à soumettre sa nature sauvage et parfois elle se rebelle. Elle semble me conter cela, à moi, ridicule fourmi perdue dans la nuit. Je fais pourtant partie de ces hommes. Responsable mais non coupable, devrai-je plaider, assis dans le bloc gelé des accusés.

C’est assez étrange de vous partager ces moments. C’est confus quand j’y pense. Oui, je passe un peu pour un fou. J’entends des voix dans la nuit, seul, sous les flocons… je parle à la montagne comme je me parle à moi-même. Souvent, cela n’a pas vraiment de sens. Mais cet épisode fut réel, un peu mystique.

 

[blockquote ]Je ne suis pas un pionnier, ni un aventurier, ni un fou. [/blockquote]

 

Patrick revient. Fin du dialogue. La sentence tombe. “Pas le bon chemin”, me dit-il. Dernier essai à deux. On s’attaque à un contrefort rocheux. Escalade courte et infructueuse sur le Kilimandjaro. Il me semblait pourtant que l’on annonçait un trek des plus faciles. Il faut croire qu’entre la réalité et la promesse, on est loin de la brochure du club med. Voie facile mais mauvaise voie tout de même. J’ai à l’esprit la pop up windows signifiant une erreur suivie de ce bruit désagréable. Cela me fait sourire. Je propose d’attendre un groupe qui semble se trouver un peu plus bas. Avec un autre guide, trouver la voie nous sera plus simple.

 

On attend. Ils nous rejoignent. Quelques mots hurlés dans la nuit en swahili et nous voilà reparti. Le client, un néerlandais, semble content de son rythme. Je le vois qui se gausse un peu de ma mine mal en point. Qu’importe, j’avance, voilà ce qui m’importe moi. Le rythme me berce. Rares sont les pauses, Patrick et moi, nous perdons le néerlandais en chemin. Je quitte cet insolent sans regrets.

Autour de 5h. Stellar Point. 5750m Enfin. Premier objectif atteint. Court plaisir, trop courte victoire. Je m’assois. Il reste une heure avant d’atteindre le vrai sommet Uruhu Pick. Une heure encore. Sur un faux plat. Autour, des forteresses glacées nous encerclent.

Kilimandjaro ascension neige
“Non, merde, ce n’est pas 2, 3 vomissements qui vont me clouer au sol ! » J’en veux à mon estomac de ne pas participer à l’effort collectif. Intérieurement, je le maudis. Je me lance et marche quelques pas à rythme soutenu. Trop soutenu peut-être. Comme s’il avait entendu mes menaces, mon estomac se rappelle à moi. Trois violents vomissements me jettent pratiquement à terre et je m’appuie sur Patrick pour me retenir. ll me faudra bien quelques minutes pour revenir à moi, respirant lentement et avalant quelques bouchées de neige. Je reprends la marche avec l’aide de Patrick pour me relever. Il me propose de prendre mon sac à dos. Mon égo m’empêche d’accepter.

Kilimandjaro ascension glacier

Nous passons en vue du glacier. En mouvement, j’ai peine à saisir sa beauté aux reflets bleutés alors je m’assois. Nouvelle et longue pause pour quelques photos et de courtes vidéos. Couleurs d’or sur les nuages.

Kilimandjaro ascension soleil

6h. Derniers mètres. Nous suivons les traces de Hans et de son équipée. Un pas après l’autre. Respirer, avancer, respirer, avancer. Ce n’est plus le corps qui bouge c’est la volonté qui avance. Le mental est là mais pour les prochains, il faudra que le corps soit également de la partie. Seul face à moi-même, je dois pouvoir compter sur lui. Un pas, encore un pas. Oh que c’est difficile. On a l’impression d’avance dans un océan de coton au ralenti.

Kilimandjaro ascension

Panneau en vue. Sommet officiel. Je souris. Cette victoire a un goût amer. Un goût acide qui reste au fond de la gorge, le même que je traîne depuis des heures. La respiration est bien plus difficile là-haut. Les poumons crient famine. Patrick laisse échapper sa joie et prend quelques pauses que j’immortalise en face du panneau informatif. Il dégage cette bonne humeur qui me fait oublier un moment mon ventre récalcitrant.

Kilimandjaro ascension uhuru peak

Moi je contemple. Je saisis en mémoire cette vison, cette courte victoire, ce magnifique lever de soleil et ces couleurs qui s’étalent sur les quelques nuages qui nous environnent. Pour le moment, le ciel est dégagé mais le brouillard s’annonce. Il faut repartir. Déjà. Je me retourne. Je suis las. Des ombres lointaines s’engouffrent dans ce qui semble une tempête.

Kilimandjaro ascension retour

Je vis ces pas derrière un voile de fatigue. Dernière photo, dernier regard. La descente s’enchaîne. Je découvre sous la lumière du jour là ou nous avions erré quelques heures plus tôt. Sans la nuit, tout parait plus simple. Je croise les filles qui sont encore en pleine ascension vers Stellar Point. Alexandra s’excuse de ses propos, moi aussi. Le stress fait parfois vaciller les mots. Je leur souhaite bonne chance, encore un dernier effort et elles y seront. Leur visage est tiré par la fatigue. Je suis ravi qu’elles y arrivent également. Elles le méritent. En filant à toute vitesse sur les monticules neigeux, on se demande comment cela a t-il pu être si difficile. J’en oublie la fatigue. J’en oublie d’immortaliser, pour vous, ces instants. On se repose à peine 2min pour boire une gorgée d’eau. Camp en vue. Enfin. Je trouve encore la force pour courir une vingtaine de minutes afin de réduire l’attente. Mes sauts de gazelle entre les rochers enneigés font rire Patrick. Mon matelas m’appelle. Après 2h de descente, je m’effondre sur mon sac de couchage.

 

C’est fini, déjà. Je me dis, tout haut, satisfait, “Voilà, c’est fait. Moi, Piotr Kroczak, comme tant d’autres, j’ai atteint mon premier sommet. J’ai atteint le toit de l’Afrique. J’ai atteint le sommet du Kilimandjaro… plus que six autres.”

Je ne suis pas un pionnier, ni un aventurier, ni un fou. Non, je suis simplement un homme. Un homme qui porte en son coeur des rêves qui le dépassent…


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