Moshi, au pied du Kilimandjaro 6 décembre – On tambourine à la porte. Je reste allongé, les bras en croix, bercé par le ronronnement du climatiseur. Où je suis ? Est-ce un rêve ? J’expulse un “J’arriveeee !” bien rocailleux. Plus de bruit. Coup d’œil sur mon téléphone : 7h30. Râle de désapprobation. Je me traîne jusqu’à la porte. Personne. Je cligne des yeux, baille, me gratte le menton l’air perdu. Je sors un “Ouiiii ?” interrogateur suivi d’un “Yessss ?”, tout aussi infructueux. Mon cerveau est en stand-by. Pas envie de me recoucher pour quelques minutes de rab. Je prends une douche. Tiède. Je sais que c’est un luxe que je n’aurai pas ces prochains jours et puis, j’ai goûté aux douches glacées du Gr20, je suis rodé. L’eau ruisselle sur ma tignasse ébouriffée. Pourquoi suis-je ici déjà ? Flash d’eau glacée, cela me revient. L’ascension du Kili. Le Kili, je l’appelle de son petit nom, comme si c’était un vieil ami. A force d’avoir consommé des récits d’ascension, comme un drogué, j’ai l’impression de le connaître, lui et ses 5895m. Pourquoi ne fait-il pas un 6000 tout rond, le bougre ? Entre exploit d’une vie pour certains et balade champêtre pour d’autres, on ne sait qui croire. Dans les faits, certains ne reviennent pas. Ces rêveurs, personne ne les lira avec attention, personne n’écoutera leurs anecdotes. Leur sort est scellé à jamais avec cette montagne. J’espère que le mien serait différent.

Tanzanie – Ascension du Kilimandjaro [ récit – 2]

8h Je rends les clés à la réception et je m’assois à une table en extérieur. Petit déjeuner. Il y a des allemands non loin et trois femmes qui discutent à ma droite. J’avale en silence mes oeufs et mon bacon en sirotant un jus de mangue. J’entends les allemands dédaignant les œufs car “on ne sais pas d’où ils peuvent venir.- Tu as raison, cela n’est pas sain”. C’est vrai que leur charcuterie allemande, mélange souvent douteux d’abats et d’os mêlés en saucisse est tellement plus appétissante. J’essaie de faire le vide autour de moi pour ne pas entendre d’autres remarques teintées d’un fiel néocolonialiste. Les trois femmes ont fini leur petit-déjeuner. Je devine que c’est avec elles que je ferai une partie de la route. Je me présente. Une italienne, la trentaine, une américaine tout droit sortie de l’adolescence et une italienne, la fraîche quarantaine. Elles n’ont pas l’air de baroudeuses et, de mon côté, j’ai la dégaine d’une asperge. On a l’air d’une belle bande de bras cassés. Bah, le Kili c’est pas un défilé de mode non plus.

“J’ai un mauvais pressentiment…”

 

Kilimandjaro Jour Machame Gate 1640m – direction Machame Camp

 

Kilimandjaro route machame gate

12h Après quelques achats de snacks pour certaines et quelques formalités administratives, on décolle enfin. Je crois que même dans mes années feignasses, je ne suis jamais parti aussi tardivement pour une marche. Sur la route, nous avons traversé quelques villages, les enfants nous saluant en chemin. Patrick, l’assistant guide regarde le ciel d’un air songeur. “Rain is coming !” sort-il. *”la pluie arrive” Je souris, les amateurs de série comprendront. Je partage quelques bonbons polonais, ça remotive les troupes.

 

La pluie dés Machame Gate.

 

Non, difficile d’appeler cela une pluie, c’est plutôt un déluge. C’est comme des ballons d’eau que l’on te balance en riant en plein été. Il ne fait pas froid cependant. Je marche sans la partie basse de mon pantalon zip. Je me marche en short donc. La flemme de me changer. Grosse erreur. J’ai rapidement l’équivalent d’un verre d’eau dans chaque godasse. Je n’ai plus besoin de sauter dans les flaques d’eau, j’ai le luxe d’avoir des flaques d’eau portatives. On avance à travers la symphonie des gouttes glissant sur les feuilles comme des doigts habiles sur les touches d’un piano végétal. Poc, poc, poc, poc Je ris d’avance d’être trempé comme un chien. C’est bon pour le côté baroudeur, cela vous forge une légende. “L’homme qui parlait aux gouttes de pluie”
“Polé, polé ! » Ça c’est le guide qui me tire brutalement de ma rêverie. Oh le malheureux que je fais, j’étais 10m devant le groupe. 10m, vous ne vous rendez pas compte mais au rythme où l’on va, c’est l’équivalent d’un stade de foot.  Polé, polé cela signifie “doucement, doucement” en swahili. C’est une expression que vous entendrez en continue au cours de la marche. Comme un disque rayé ou une gifle décernée à un gamin trop têtu. Polé, polé on vous dit, boudiou ! Je crois que les Polé, polé ont réveillé l’ado en moi. Ne pas se fatiguer c’est le moto principal. A croire que vouloir avancer soit un sacrilège. Merde ! Pour moi, une marche, si on ne sue pas un minimum, c’est pas une vrai marche. Bon, tout le monde n’est pas de cette avis, surtout les porteurs avec leur 20kg et quelques sur le dos. Alors je me la ferme, pour ne pas sortir une connerie.

Le polé, polé se voit souvent suivi d’un grand sourire du guide, découvrant des dents blanches dignes d’une pub colgate. C’est désarmant mais on s’y fait. Vous ne pouvez pas en vouloir sérieusement à un gars qui fait inconsciemment de la pub à un dentifrice à chaque fois qu’il souri.

 

Kilimandjaro marcheme 1

 

L’éclaircie venue, on arrive peu après au Machame Camp, à 2850m. Les porteurs s’empressent, tels des fourmis, pour dresser le camp. Je pose mon sac. J’observe la rapidité de l’exécution. Je n’ai rien à faire, juste à attendre d’être servi, tel un pacha. J’éprouve une gêne. Je me demande alors s’il y avait un autre moyen. Je suis un éternel adepte du “et si”

Le thé chaud suivi du dîner, chaud lui aussi, nous attendent. On pose les pieds sous la table, dans la tente dédiée et on mange à la lueur des bougies en bavardant, façon dîner 5 étoiles. On apprend des guides que l’on peut éviter les pluies si l’on part un peu plus tôt. D’une même voix, on indique que cela ne nous pose pas de problèmes. Promesse illusoire. On devra donc lever le camp à 7h30. J’ai envie de faire mon gosse et de caler un gros “lol” en guise de fin de conversation. Avant de me coucher, je prépare tout pour le lendemain. Sait-on jamais.

 

Kilimandjaro Jour 2 Machame Camp 2850m – direction Shira Camp 2

 

6h. Quelques voix me réveillent. J’effectue rapidement mon lavage avec mon bol d’eau chaude. Je suis déjà prêt. Je n’ai que quelques babioles à récupérer. Babioles que j’avais vainement tenter de faire sécher la veille. Parmi elles, mes chaussures. J’utilise ma technique B, à savoir ; des chaussettes dans des sac en plastique. Cela marche du tonnerre, sauf en descente. Avec les femmes du groupe, la réalité est toute autre. On se croirait dans une chambre d’ado dans laquelle on aurait fait exploser une grenade. Qui s’en étonne ? Personne ! Une chaussette sur une branche, sa cousine sur le bord d’une tente, un t-shirt dans un arbuste. Une avalanche de coton et de couleurs. Un beau retard se profile à l’horizon. Fallait pas être devin pour le sentir. On décolle dans les environs de 8h30, commes des princes. Je m’adoube éclaireur afin de ne pas subir les foudres des Polé, polé.

Kilimandjaro marcheme 2article

Marcher et parler sont deux verbes qui, chez moi, s’associent mal. Bavarder lors des repas me suffit. Suis-je si asocial pour prendre plaisir à fuir mon groupe dès le deuxième jour ?

Jean guide le groupe des femmes. Je cherche Patrick, l’assistant guide, pour accélérer le pas. Patrick a le “Polé, polé » plus avare et la démarche plus certaine. Il n’a, lui, pas 3 poids à traîner et moi je suis plus gazelle que tortue, souriant d’un air complice à chacune de ses entorses au dogme intransigeant du “Polé. Polé ». Certes, ce n’est pas une course et arriver plus tôt ne raccourcira pas la distance mais nous tombons d’accord sur le fait que si nous évitons d’être trempé comme la veille, la balade pourrait être tout aussi agréable. A mi-chemin, je pars donc seul avec Patrick. Nous arrivons au Shira 2 Camp tout juste avant la grosse averse et, bien que la distance entre Machame Camp et Shira Camp n’est que de 5km, les filles

Les filles trempées et râleuses arrivent une bonne heure plus tard,  sous le regard amusé de Patrick et de moi-même.

Il est à peine 11h et mon emploi du temps est digne d’un étudiant : bien vide. Les sauts d’eau s’abattent sur le sol détrempé et j’échange mes chaussures avec des tongs sous le regard amusé des autres porteurs. Au moins, j’aurai des chaussettes sèches pour les jours suivants. L’ennui me gagne. Seul, sur un trek, je serai probablement reparti une fois le ventre plein. Ici, il faut accoutumer son corps à la hauteur. Sous ma tente, installé. je somnole, je gribouille quelques notes, j’essaie de faire passer le temps en oubliant la pluie continuekke. Je regrette de ne pas avoir emporté de livre mais je ne sais s’il aurait survécu l’atmosphère humide du premier jour. Le reste du groupe arrive. Jean nous dit que nous pourrions aller, dans l’après midi, au Shira Camp 3 afin de marcher un peu et d’habituer le corps à la hauteur. 2H aller retour parait-il. Je partirai en convainquant Patrick lors d’une courte éclaircie et, suivant un ranger, mettrait à peine 20 min pour atteindre Shira 3. Je regretterai par la suite de n’avoir pas profiter de la merveilleuse lumière qui s’offrait sur la vallée en contrebas, avec le mont Meru qui me faisait de l’oeil.

Kilimandjaro marcheme 2nuit

 Sur le retour, Patrick me montre la grotte dans laquelle, autrefois, tout le monde passait la nuit. C’est dorénavant interdit. Je reçois quelques remarques agacées des filles qui auraient aimé, elles aussi, profiter d’une balade pour tuer l’ennui. Je sais, je suis parfois égoïste mais je crains que nous y serions encore si elles nous avaient suivi.

 

Kilimandjaro Jour 3 Shira Camp 2 : 3810m – direction Barranco Camp

 

Kilimandjaro marcheme 3

On avait convenu d’un départ anticipé. La technique fut de dire “Nous souhaitons partir à 7 », tout en sachant que nous partirions à 7h30” A 8h, impatient, je demande s’il serait possible de partir avec Patrick. J’apprendrai plus tard que les filles ne partirent que 30 minutes plus tard. A peine 1h30 après le temps théorique.

En chemin, je m’abreuve à une source et continue, comme je le fais depuis le premier jour, de remplir mes poches de bouts de plastiques, de ficelles et de papiers laissés par des petits poucets inconscients. J’ai toujours à cœur de laisser le lieu où je viens plus propre que lorsque je suis arrivé. Évidemment, il en reste beaucoup mais cela m’aide à avancer le cœur léger. J’émets l’hypothèse farfelue que la montagne, ou la nature dans son ensemble, se trouve alors plus indulgente à notre égard. C’est nous les intrus et la montagne se garde bien de le rappeler à certains. Bien que le Kilimandjaro soit le moins technique et le moins difficile des 7 sommets – ce n’est qu’une longue marche après tout- avec ses 5895m, il arrive tout de même que la mort emporte des sportifs préparés alors que des soixantenaires font l’aller-retour sans problèmes. C’est chose rare, fort heureusement, mais toute ascension comporte des risques. Chaque matin, moi le mouton qui n’a vécu qu’au milieu des plaines de la région centre, je regarde le sommet qui se rapproche avec ce respect courtois. Si, depuis ma naissance, j’avais pu côtoyer les hauteurs, ma vie serait toute autre. Cette passion naissante aurait surgis bien plus tôt, bien avant la trentaine approchante.

Kilimandjaro marcheme 3marche

 

En 3 petites heures et une petite pause barre de chocolat, nous atteignons la Lava Tower à 4630m. Première rencontre avec la neige.J’adore le bruit de mes pas comme dans du coton mouillé. Nous redescendons tranquillement sous la couverture neigeuse et, à midi pile, je me trouve assis avec Patrick dans l’un des lits de la hutte des rangers se trouvant à Karanga Camp. Les filles mettront 7h30 et finiront trempées. J’admire leur constance dans l’effort. Le temps habituel est de 6 à 8h. Nous en avons mis 4 en évitant, de nouveau, les averses. But atteint. Patrick et moi piquons un petit somme réparateur en attendant que les porteurs arrivent avec notre tente.

 

Kilimandjaro Jour 4 Barranco Camp 3995m – direction Barafu hut

 

Kilimandjaro marcheme matin

 

Aujourd’hui, direction le dernier camp avant l’ascension qui s’effectuera ce soir, aux alentours de minuit. Tout est allé si vite. Comme un claquement de doigts. Certains prennent un jour d’acclimatation de plus au Karanga Camp, à 3995m. Ce n’est pas notre cas.

Patrick et moi nous filons au Karanga Camp où nous subissons une pause forcée dans le but d’éviter les trombes d’eau qui s’abattent dés notre entrée au camp. Je n’ai pas envie d’être de nouveau transformé en éponge le jour de l’ascension donc je prends mon mal en patience. J’échange avec un jeune couple tchèque qui a déjà grimpé l’Aconcagua et l’Elbrouz. Je les envie. Ils m’annoncent que cela sera une belle aventure. Je m’y vois déjà. 2014, si tout va bien. On se promet de converser à nouveau lorsque je descendrai du Kili alors qu’eux, le lendemain, viendront monter leur camp à la Barafu Hut.

 

Sur le chemin vers Barafu Hut, je file tel le vent, estimant que Patrick ne va pas assez vite pour éviter les quelques bourrasques de pluie qui se sont entichées de nous. Je marque donc seul, dans la brume, suivant le chemin des porteurs. J’en profite pour faire quelques photos lorsque le temps me le permet. Je les vois passer dans la pénombre, ces hommes qui pour la plupart d’entre nous ne resteront que des ombres. Sans ces hommes, qui hier encore tombaient pour ne jamais se relever, faute de préparation et de matériel, afin d’accomplir nos rêves insouciants, point d’ascension. Ils sont la pierre angulaire de l’ascension d’expédition, travaillant dans des conditions difficiles, méprisés parfois par ceux qui les emploient et payés une misère. Dans leurs yeux, si vous les croisez, vous y lirez fierté et détresse, souffrances et rêve d’une vie meilleure, jalousie et bienveillance. Toute montagne a une face cachée, une face nord, sombre, rude et, au fond, si semblable à la nature humaine… toute montagne enchaîne ceux qui gravitent autour pour leur survie.

Kilimandjaro marcheme 4porteur

 

Kilimandjaro Barafu Hut 4673m : Nuit de l’ascension vers Uruhu Peak

 

Voilà, ça y est, j’y suis. Étonné, je ne vois pas de neige mis à part quelques restes devant les WC. Il y a des allemands et des autrichiens qui discutent dans de grosses tentes jaunes, couleur or, comme leur portefeuille sans doute. Ils avalent les pilules de Diamox permettant de lutter contre les effets du mal des montagnes comme des bonbons. Je vois dans leur regard cet air suffisant et arrogant de ceux qui portent sur eux une veste dont le prix est l’équivalent du coût de mon ascension. Je leur lance un bonjour qui se meurt sur la rocaille noire et aride. On trouve des cons à toute latitude et altitudes, la Tanzanie ne fait visiblement pas exception. J’espère ne jamais devenir comme eux. Oh faite que je ne devienne pas comme eux. Giflez-moi avant. Je crois qu’aucun sommet et aucun exploit ne vaut ce dédain que certains portent comme une seconde peau.

Kilimandjaro marcheme 4soir

 

Coucher de soleil. Instant solennel. Dernier repas. Le grand repas. La messe est dite. C’est difficile de vous écrire ce que je ressens, là, alors que d’ici 3h, on viendra me réveiller dans ma tente pour les derniers 1200m. Je ne suis pas surexcité, je suis étrangement calme. Avec le recul, je trouve amusant les circonstances qui m’ont amené en ce lieu. J’ai suivi mon coeur et mes aspirations, sans vraiment me poser de question, sans me préparer, Je savais que je l’étais déjà. Je ne suis pas fatigué -comment le pourrai-je en marchant à peine 4h par jour- je n’ai pas de nausées, je n’ai pas de maux de tête. Je me sens en pleine forme. Un roc.
Je retourne dans ma tente. 3H à imaginer, à somnoler, à visualiser chaque pas. Tout irait pour le mieux si ce n’est quelques ballonnements. J’ai des gaz qui m’empêchent de vraiment apprécier ces moments de solitude… Bah, je me dis que cela passera.

3h plus tard, 23h passé, il est temps de partir. On allume la lampe frontale. Des lutins semblent s’animer un peu partout dans la nuit. Cela serait vraiment magique si ce n’était ces maudits gaz qui m’empêchent encore et toujours d’apprécier l’instant. J’ai comme un mauvais pressentiment…


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